Par Sophie Képès le 29 Juin 2011
Voici quelques décennies, les auteurs latino-américains ou centre-européens avaient l’habitude d’affirmer que Paris était « le plus grand café littéraire du monde », et que, si vous vouliez vous faire connaître ailleurs, il fallait d’abord passer par une traduction en langue française. Mais qu’est-il advenu de cette légende ? Et comment travaillent aujourd’hui les éditeurs français de littérature étrangère ? Ces questions nous intriguaient. Nous sommes allés les poser à huit d’entre eux, qui s’expriment au nom de sept maisons, groupes ou structures.
Quelques chiffres d’abord : en 2009, la part des traductions de livres dans la production commercialisée en France est de 14,3% (9088 nouveautés et nouvelles éditions, source Livres Hebdo/Electre). Bien sûr, il ne s’agit pas uniquement de fictions, mais on peut supposer que la part de celles-ci l’emporte : la même année, les trois meilleures ventes en magasin tous genres confondus (source Ipsos) sont des romans de Stephenie Meyer, l’auteur de la série Twilight.
La langue la plus traduite en français est, sans surprise, l’anglais avec 62% du nombre total de traductions. Au deuxième rang figure le japonais avec 8,3% – le poids des mangas –, puis viennent l’allemand : 6,2%, l’italien : 4,3%, l’espagnol à jeu presque égal avec 4%, les langues scandinaves : 1,8%, le russe : 1,3%, et le néerlandais : 0,9%.
Et que se passe-t-il dans l’autre sens ? L’année précédente, en 2008, les cessions de droits à l’exportation se montaient chez nous à 6869 titres – au fond, pas tellement inférieures aux acquisitions (source Centrale de l’édition/SNE). évidemment, c’est la répartition par langues qui creuse la différence d’une aire culturelle à l’autre.
« La littérature française contemporaine s’exporte plutôt bien, malgré un léger déclin à la fin des années 1990 », affirme Gisèle Sapiro, auteur de Translatio (CNRS éditions, 2008). Entre 1997 et 2007, ce sont les Italiens, les Espagnols et les Allemands qui nous ont acheté le plus de droits – une centaine de titres par an en moyenne. Et même aux états-Unis, la littérature française contemporaine atteint 40% des cessions, avec un intérêt marqué pour les littératures francophones ou issues des banlieues, ou encore influencées par l’OuLiPo (Bill Cloonan et Dominic Thomas in Le Monde des livres, 26 mars 2010).
Nous avons donc tenté de dépeindre, par des entretiens réalisés et rédigés par les étudiants en édition du pôle Métiers du livre de l’université Paris Ouest, l’activité foisonnante de huit éditeurs de littérature étrangère en France. Autant de femmes que d’hommes, nous y tenions ! Le panorama va de l’Asiathèque, maison artisanale et familiale représentée par Christiane et Philippe Thiollier, au groupe éditorial à vocation européenne Libella construit dans les années 2000 par Vera Michalski, en passant par les publications bilingues de la meet à Saint-Nazaire dirigées par Patrick Deville, le célèbre domaine anglo-américain d’Actes Sud avec Marie-Catherine Vacher, le catalogue étranger en plein essor d’Héloïse d’Ormesson, l’intervention érudite et protéiforme de Jean-Yves Masson chez Verdier et ailleurs, le rajeunissement de l’imposant catalogue de Phébus par Daniel Arsand.
Pour défendre ce secteur risqué – les coûts de traduction élèvent le seuil d’amortissement d’un ouvrage, et la recette du succès est rarement transposable d’un pays à l’autre –, ces professionnels doivent se tenir aux avant-postes de la curiosité intellectuelle et de l’esprit d’aventure – même en chambre ! –, être dotés à la fois d’un tempérament généreux et d’un certain esprit de compétition, en particulier dans les salons et foires internationales. Ils ont souvent pratiqué plusieurs métiers. Ils viennent d’horizons variés et n’avaient pas forcément anticipé ce qu’ils allaient devenir. Nous les présentons ici par ordre alphabétique, car après réflexion, tout autre classement nous a paru inopportun. L’alphabet dans son arbitraire n’est-il pas notre base commune à tous, étudiants, enseignants, éditeurs, traducteurs et auteurs ?
Toujours dans le cadre de leur formation professionnalisante, les mêmes étudiants ont effectué la mise en page de l’ouvrage avec Michel Sixou, enseignant de PAO. Du contenu éditorial à l’impression, ils se sont entraînés à toutes les étapes techniques du graphisme. En utilisant les logiciels InDesign CS4 et Photoshop CS4, ils sont intervenus tant sur les textes que sur les images, se formant à l’ensemble du processus. Ce livre collectif représente la première étape concrète sur le chemin de leur futur métier. Souhaitons-leur bonne chance !
Sophie Képès, directrice de la collection « Visages de l’édition »
A paraître en août aux Presses de Paris-Ouest :