ÉCRIRE UN SCÉNARIO

Atelier d’Initiation au Scénario

avec Sophie Képès

 

Présentation :

L’écriture de scénario met l’accent sur la structure dramatique du récit et développe l’aptitude à décoder les techniques narratives des films.

Contenu théorique :

Les origines du récit, la structure dramatique et ses principaux éléments, le traitement de la chronologie, le découpage en séquences, la syntaxe audiovisuelle, les choix d’une adaptation, l’art du dialogue, la caractérisation du personnage, le film unitaire et la série, les différents genres.

Contenu pratique :

L’objectif final de l’atelier est l’adaptation audiovisuelle d’une nouvelle contemporaine (court métrage). On passe par diverses étapes : résumé du sujet, synopsis, séquencier, continuité dialoguée, pitch.

Des exercices ponctuels sont rédigés sur place, suivis d’un partage oral. Un travail de rédaction doit parfois être effectué entre deux séances.

Aucune connaissance préalable n’est nécessaire pour participer à cet atelier !

Inscription et renseignements : skepesh@gmail.com

Les participants de 2018-19

Les participants de 2018-19

 


 

Exemples de textes rédigés en atelier :

 

Sandrine Benayoun – Synopsis d’après la nouvelle « De bonnes intentions » d’Etgar Keret

Le synopsis est un résumé complet en une seule page, purement factuel, dans l’ordre chronologique du film à venir, rédigé à l’indicatif présent.

Morisson, 31 ans, grand, brun, séduisant, qui tient naturellement ses interlocuteurs à distance, vêtu d’un jean et d’une chemise blanche assez ajustés. On sent qu’il prête attention à sa tenue : simple et bien coupe. Il arrive dans une chambre d’hôtel anonyme, genre Hilton : rien qui puisse laisser deviner où il se trouve.  Il récupère une enveloppe dans le placard de la salle de bain. Il ouvre l’enveloppe, on le voit dans le miroir. Il sort de l’argent et le compte. Il sort une coupure de journal où figurent une photo et un titre : « Patrick Grace reçoit le prix Nobel de la paix ». Morisson jure.

Flashback 20 ans plus tôt dans un orphelinat. Grace, plus jeune, visite l’établissement : on le voit arriver dans une voiture et passer sous une banderole « Welcome Mr Grace ».  On voit Morisson enfant, 11 ans environ. On le reconnaît à la cicatrice qu’il a au sourcil. Les enfants sont alignés devant les lits du dortoir, les yeux baissés, ils ont tous la tête rasée. Grace tend un cadeau à Morisson qui a un mouvement de recul. Grace lui caresse la tête et soulève sa chemise : il est couvert de marques. Le soir le personnel de l’orphelinat est emmené par la police. Quelque temps plus tard on voit les enfants jouer dans la cour, ils ne sont plus en uniforme et leurs cheveux ont poussé.

Retour dans la chambre d’hôtel. Morisson monte son fusil. Il regarde sa montre. Il fume, lance son mégot sur le tapis du salon qui prend feu, l’éteint et fait les cent pas dans la chambre. Il regarde sa montre, se rassoit devant la fenêtre. Il voit Grace arriver et s’asseoir à la terrasse d’un café d’en face. Morisson le tient pile dans son viseur. Il s’apprête à tirer quand un SDF passe devant lui, ses sacs se déchirent Grace grimace et va l’aider à rassembler un bric-à-brac de journaux, chiffons, vaisselle en métal, et de sacs plastique dont on ne distingue pas le contenu. On voit toujours le point lumineux du viseur sur son front. Morisson ferme les yeux, son index relâche la détente, il désarme son fusil.

Morisson entre au café, il tient la valise qui contient son arme. Il s’installe à une table face à Grace qui lui dit « Bonjour Morisson » sans avoir l’air surpris de le voir. Morisson pousse vers lui l’enveloppe contenant la prime. Grace explique que c’est lui qui l’a engagé parce qu’il veut mourir. Il en a assez d’être possédé par un ange du bien, il est épuisé, ne mange et ne dort plus. Il essaie de convaincre Morisson de faire le job, c’est la troisième fois qu’un tueur professionnel lui fait faux bond. Morisson perd contenance, il a les larmes aux yeux, s’excuse, s’en va. Grace le rappelle, lui montre la valise qu’il oubliait.

Dans une autre chambre d’hôtel, trois jours plus tard, Grace vise un sénateur se tenant debout sur une estrade en plein air au milieu d’un discours de campagne. Point rouge au milieu du front, il s’écroule.


 

Jean Czernichow – Séquencier d’après la nouvelle « Bersabée »  de Joyce Carol Oates

Le séquencier, c’est la charpente du récit, un pré-découpage approximatif du film ; les séquences sont résumées en quelques lignes, sans dialogue, numérotées dans l’ordre d’apparition à l’écran, avec indications de lieu et de temps.

SEQUENCE 1 – INT NUIT – Dans la maison de Brad Shiftke

Brad Shiftke, la cinquantaine fatiguée, se fait une injection d’insuline. Il s’assoit sur son canapé et regarde la télévision.

SEQUENCE 2 – INT NUIT – Toujours dans la maison de Brad Shiftke

Il reçoit un coup de téléphone d’une jeune femme qui refuse de lui dire qui elle est.

Suit un dialogue pendant lequel Brad essaye de deviner qui elle pourrait être. Elle le provoque familièrement sans que l’on sache pourquoi, jusqu’à ce qu’elle lui dise que sa voix à lui, elle ne risque pas de l’oublier.

Brad se lève et ferme la télévision, intrigué par ce commentaire.

SEQUENCE 3 – EXT NUIT – Sur un parking

Une femme jeune au teint bronzé est adossée à une voiture. Elle est vaguement éclairée par les réverbères. Elle a un téléphone mobile à l’oreille.

Elle demande à son interlocuteur, qu’elle appelle Brad, comment il va. On entend la voix qui répond qu’il va bien.

SEQUENCE 4 – INT NUIT – Dans la maison de Brad Shiftke

Brad est debout au milieu de son salon, tendu.

La femme prétend qu’elle a entendu dire des choses sur lui, ce qui l’énerve. Il lui demande si c’est à cause de son diabète. Puis elle lui propose de se rencontrer et sans attendre sa réponse elle lui demande s’il a des enfants. Il reste muet un long moment ce qui conduit la femme à lui dire dit qu’elle n’est pas sa fille.

Il lui propose alors de la rencontrer dans un bar proche du lac.

SEQUENCE 5 – INT NUIT – Dans le bar Star Lake Inn

Brad pénètre à l’intérieur du bar et cherche à repérer la femme qui lui a téléphoné mais ne voit que des couples. Il sort sur la terrasse.

SEQUENCE 6 – EXT NUIT – Sur la terrasse du bar Star Lake Inn

Brad débouche sur la terrasse et une femme se dirige vers lui pour l’accueillir. Elle le connaît visiblement, mais lui, ne la reconnaît toujours pas.

Embarrassé, il lui propose d’aller chercher à boire et lui demande si elle n’est pas mineure.

Elle répond qu’elle est une grande fille adulte et elle ajoute « papa ».

Ce mot provoque un déclic chez Brad qui l’appelle par son nom Stacy Lynn, la fille de Linda Gutshalk, sa seconde femme.

Stacy minaude autour de Brad, le touche, l’embrasse sur la bouche.

SEQUENCE 7 – INT/EXT NUIT – Bar Star Lake Inn

Ils rentrent dans le bar pour aller chercher à boire et ressortent sur la terrasse, mais il n’y a pas de place pour s’asseoir, ils décident de partir se promener sur le bord du lac avec la voiture de Stacy.

SEQUENCE 8 – INT NUIT – Dans la voiture de Stacy

Stacy conduit en buvant de temps en temps une gorgée de bière. La lune brille et ils arrivent rapidement au bord du lac. Stacy gare la voiture dans une allée perpendiculaire qui monte vers la forêt.

SEQUENCE 9 – EXT NUIT – Au bord du lac

Stacy descend au bord du lac en entraînant Brad derrière elle. La lune illumine le lac et en tenant sa lampe torche entre ses cuisses, elle enlève son teeshirt. Ils restent un instant à contempler l’eau du lac. Stacy dit d’une voix tremblotante que la lune n’est là que pour eux puis se reprenant elle braque la lumière de sa torche sur Brad et lui enjoint de la suivre.

SEQUENCE 10 – EXT NUIT – Sur un sentier qui monte

Stacy retraverse la route et commence à monter par un sentier qui s’éloigne du lac. Brad a du mal à suivre et lui demande de ralentir.

Ils finissent par déboucher dans un ancien cimetière ravagé et une église abandonnée. Stacy dit qu’il y avait ici un ancien village du nom de Bersabée.

SEQUENCE 11 – EXT NUIT – Dans le cimetière

Stacy explique à Brad qu’elle venait ici en vélo lorsque sa mère séjournait chez des parents à proximité.

Stacy s’assoit sur une pierre tombale et pose sa lampe torche par terre. Elle demande à Brad de venir s’asseoir à côté d’elle et, comme il s’approche d’elle, d’un mouvement très rapide elle retrousse son pantalon sur sa jambe gauche et lui entaille la chair au-dessus de la cheville.

Brad crie de douleur et s’effondre sur le sol.

Stacy s’éloigne d’un bond et elle hulule d’excitation et de joie enfantine. Elle a ramassé sa lampe torche et tient dans sa main gauche la lame qui brille éclairée par la lune.

SEQUENCE 12 – EXT NUIT – Toujours dans le cimetière

Stacy entame une danse autour de Brad qui se tord de douleur.

Elle l’invective en lui disant qu’il a tué sa mère, qu’elle lui a sectionné son tendon d’Achille et que maintenant il peut ramper comme un ver.

Elle lui reproche entre autre d’avoir provoqué le suicide de sa mère et d’avoir abusé d’elle lorsqu’elle était petite.

SEQUENCE 13 – EXT NUIT – Dans le cimetière puis le ravin

Brad nie avoir fait ce dont Stacy l’accuse. Devant le refus de Brad de reconnaître les faits, elle lui enfonce son couteau dans l’épaule en l’injuriant et en lui rappelant ce qu’il lui faisait à elle, une petite fille. À coups de pied et en le menaçant avec son couteau, elle l’oblige à ramper sur le sol parmi les débris jusqu’à atteindre le bord d’un petit ravin. D’un coup de pied, Stacy le fait basculer au fond du ravin où coule un petit ruisseau. Il s’entaille la tête sur une pierre.

SEQUENCE 14 – EXT NUIT – Dans le ravin

Brad essaye d’apitoyer Stacy en lui disant qu’il lui faut une piqûre d’insuline sinon il risque de mourir. Stacy lui dit que les gros porcs comme lui ne tombent jamais malades et que c’est lui qui rend les gens malades.

Elle oblige Brad à écrire ses aveux sur un carnet qu’elle lui jette. Il essaye tant bien que mal d’écrire ce qu’elle lui dicte.

Stacy tout en parlant ramasse une grosse pierre et la jette sur Brad. La pierre en le percutant fait un bruit de branche cassée et le silence revient.

SEQUENCE 15 – EXT NUIT – Sur le sentier

Tout en sifflant « Dixie » joyeusement, Stacy redescend vers sa voiture en éclairant le chemin de sa lampe torche.


 

Pierre Henri Ollier – Scénario de « La main invisible », d’après la nouvelle « La leçon de 1980 » de Dino Buzzati

Le scénario ou continuité dialoguée est l’aboutissement du développement ; on affine le découpage et on ajoute au séquencier les dialogues, les indications de décor, de son, d’ambiance, de mise en scène…

Séquence 1 – EXTERIEUR JOUR – Les rues d’un quartier d’affaires

Mardi 31 décembre 2019

Entre les gratte-ciels passe une voiture de sport italienne rouge. Au volant, JM, costume sans cravate, gourmette et grosse montre. Il augmente le son. Il conduit vite, sûr de lui. Il ne ralentit que pour rentrer à l’intérieur du parking d’un building sur lequel est écrit en lettres énormes COGIP.

Séquence 2 – INTERIEUR JOUR – Parking de l’immeuble COGIP

La voiture freine brusquement aux pieds d’un voiturier. JM en sort et lui lance les clés avant de rentrer dans l’ascenseur.

Séquence 3 – INTERIEUR JOUR – Ascenseur

JM est dans l’ascenseur. Il sifflote. L’ascenseur s’arrête à un étage intermédiaire. Un employé rentre. Il a le même âge que JM.

 L’EMPLOYE : Bonjour, monsieur le directeur.

 JM ne répond pas. L’employé descend de l’ascenseur. JM poursuit seul vers le sommet.

Séquence 4 – INTERIEUR JOUR – Direction de la COGIP, open space

JM sort de l’ascenseur accueilli par une haie d’honneur au bout de laquelle se trouve M. Delmar, le PDG.

 DELMAR : JM ! Mon champion ! Vous savez, j’étais comme vous à votre âge !

 JM : Merci, monsieur le président.

DELMAR : (prenant à partie la foule) Regardez bien cet homme ! Grâce à lui, la COGIP est maintenant la deuxième plus grosse société du monde !

 La foule l’applaudit. Delmar coupe court à l’enthousiasme.

 DELMAR : (riant) Allez ! Tout le monde au boulot maintenant ! Il ne faudrait pas se reposer sur ses lauriers !

 La foule se disperse. Le sourire carnassier de JM ne dure que le temps de la présence du PDG. Il marche vers son bureau. Avant qu’il n’entre, sa secrétaire enthousiaste l’interpelle.

SECRETAIRE : Monsieur le directeur, encore bravo ! C’est un honneur de travailler à vos côtés. C’est ce matin que votre interview doit passer au journal ?

JM : (abrupt) Oui, c’est bien ça. Qu’on ne me dérange sous aucun prétexte. Sauf si c’est Delmar, bien sûr !

Il referme la porte derrière lui.

Séquence 5 – INTERIEUR JOUR – Bureau de JM

JM s’installe dans son fauteuil, le fait basculer, croise les pieds sur le bureau et allume un téléviseur. Au mur, des couvertures de magazines avec son portrait.

Il allume la télévision.

PRESENTATEUR : Nous revenons sur ce choc incroyable, cette nouvelle qui a ébranlé le monde, cette nuit, le président des Etats-Unis, M. Donald Trump, s’est effondré au milieu de ses conseillers à bord de l’avion AirForce One. Malgré tous les efforts de son médecin personnel présent à bord, on  n’a pas pu le ranimer. C’est aujourd’hui une Amérique en deuil qui se réveille. Le vice-président Mike Pence va donc devenir le nouveau président des Etats-Unis. Les réactions internationales ne se sont pas fait attendre…

Le téléphone de JM sonne. Il coupe le son de la télévision.

JM : (agacé)Qu’est-ce que c’est ? Je voulais être tranquille.

SECRETAIRE : Désolée, monsieur le directeur. Le directeur commercial insiste pour vous parler.

 JM : (soupire) Bon. Passez-le moi. Philippe ?

Philippe : Tu as vu la nouvelle ?

 JM : Oui, je suis devant les infos.

PHILIPPE : Ah ! Ah ! Tu voulais te voir à la télé ? Eh bien, Trump t’a volé la vedette ! Quelle histoire quand même ! J’espère que la COGIP n’aura pas à en souffrir.

 JM : Le marché américain est solide, mais on ne sait jamais.

Séquence 6 – EXTERIEUR JOUR – Au pied de l’immeuble COGIP

Mardi 7 janvier 2020.

La voiture de JM s’engouffre dans le parking.

Séquence 7 – INTERIEUR JOUR – Dans l’ascenseur

JM regarde sa montre alors que les étages défilent.

Séquence 8 – INTERIEUR JOUR – Dans le bureau de JM

JM referme la porte derrière lui, s’assoit dans son fauteuil en croisant les jambes et allume la télévision.

PRESENTATEUR : Un événement incroyable s’est produit cette nuit ! Le maître du Kremlin, Vladimir Poutine, est mort de ce qui semblerait être un arrêt cardiaque. Une semaine après la mort du Président Trump, c’est un nouveau coup de massue…

JM éteint la télévision.

Séquence 9 – INTERIEUR JOUR – Les couloirs de la COGIP

JM, préoccupé, avance dans les couloirs. On entend les employés murmurer.

EMPLOYES : Oh la la ! C’est dingue… Trump, maintenant Poutine ? Ce sera qui la semaine prochaine ?

Séquence 10 – INTERIEUR JOUR – Salle de réunion du Comité d’entreprise

Plusieurs personnes sont assises autour d’une grande table.

REPRESENTANT DU PERSONNEL : L’entreprise a des résultats exceptionnels. Ces résultats, ce sont aussi les salariés qui les ont permis.

JM : C’est vrai, mais on ne sait pas de quoi demain sera fait.

REPRESENTANT DU PERSONNEL : C’est toujours la même rengaine avec vous ! Vous ne jouez pas le jeu ! Les salariés ne sont pas impliqués dans les décisions ici ! C’est nous les premiers concernés quand même !

JM : Ecoutez, on fait notre maximum, vous êtes franchement bien traités et déjà, vous avez un boulot. Vous avez vu les chiffres du chômage ? Alors arrêtez de vous plaindre.

Brouhaha de protestations dans la salle.

Séquence 11 – EXTERIEUR JOUR – Au pied de l’immeuble COGIP

Mardi 14 janvier 2020.

La voiture de JM s’engouffre dans le parking.

Séquence 12 – INTERIEUR JOUR – Dans l’ascenseur

JM, vêtu d’un autre costume, regarde sa montre alors que les étages défilent.

Séquence 13 – INTERIEUR JOUR – Dans le bureau de JM

JM referme la porte derrière lui, s’assoit dans son fauteuil en croisant les jambes et allume la télévision.

PRESENTATEUR : Nouvelle incroyable ! Cette nuit, le leader chinois Xi Jinping a été retrouvé mort. Votre analyse Monsieur Perrier ?

Monsieur Perrier apparaît à l’écran avec un bandeau indiquant « expert ».

MONSIEUR PERRIER : Les trois hommes les plus importants de la planète sont décédés en trois semaines. C’est tout bonnement incroyable ! La probabilité d’un tel événement est proche de zéro.

JM éteint la télévision. Il ouvre un placard et se sert un verre de whisky.

Séquence 14 – INTERIEUR JOUR – Ascenseur de la COGIP

Mardi 21 janvier 2020. JM est dans l’ascenseur avec deux femmes qui chuchotent entre elles, l’air inquiet, sans qu’on comprenne ce qu’elles disent.

Séquence 15 – INTERIEUR JOUR – Salle de réunion de la COGIP

Réunion du comité des directeurs dont Philippe, Monsieur Delmar et JM.

PHILIPPE : …ce qui devrait nous permettre de progresser de 10% l’an prochain sur le marché d’Afrique de l’Ouest.

DELMAR : Parfait Philippe. Messieurs, avant de vous libérer, j’aimerais vous montrer quelque chose.

Delmar prend la télécommande sur la table et allume l’écran de télévision au mur.

DELMAR : Voici Jeff Bezos, l’homme le plus riche du monde et notre principal concurrent.

COMMENTATEUR : Cet entrepôt relève un défi logistique incroyable ! C’est le plus grand du monde et aucun humain n’y travaille !

DELMAR : Ce mec est un génie ! Il a licencié 3000 personnes et la cote de son action a encore bondi ! Ecoutez-le mes enfants !

Delmar monte le son. On voit Jeff Bezos à un pupitre, il s’apprête à parler. Il sourit à la foule quand soudain, son sourire se fige, sa main se crispe sur sa poitrine et il s’effondre devant les caméras. Dans la salle de réunion, tous se regardent, inquiets, alors que le présentateur reprend l’antenne.

COMMENTATEUR : C’est un choc incroyable ! Mesdames et Messieurs, on m’annonce que Monsieur Jeff Bezos vient de décéder. Après les dirigeants des pays les plus puissants de la planète, c’est maintenant au tour de l’homme le plus riche du monde. Comment ne pas y voir un schéma ? Peut-on aujourd’hui éviter de se demander : Qui sera le prochain ?

Delmar regarde alternativement ses deux directeurs.

Séquence 16 – INTERIEUR NUIT – Un restaurant parisien

Lundi 27 janvier 2020

Delmar et ses deux directeurs dînent ensemble.

DELMAR : Cette situation est ridicule ! Bezos ? Il devait être drogué.

Les deux directeurs opinent, mais ils sont très sombres et desserrent à peine les dents.

 DELMAR : Un schéma ? Basé sur quoi ? L’argent ? Le pouvoir ? C’est ridicule ! S’il y a un Dieu qui existe, au contraire, il doit aimer ceux qu’il a lui-même favorisés ! C’est ridicule, je n’ai jamais cru aux malédictions.

 Delmar tourne subitement de l’œil et s’effondre le nez dans son assiette. Panique dans la salle, JM reste prostré.

Séquence 17 – INTERIEUR JOUR – Bureau de JM

Mardi 28 janvier 2020

JM est dans son bureau. Il regarde la télévision, agité.

PRESENTATEUR : Après Monsieur Bezos, décédé la semaine dernière, Monsieur Delmar était l’homme le plus riche du monde et le dirigeant d’un empire industriel immense.

Mesdames et Messieurs, je puis le dire solennellement, à présent, plus aucun doute n’est permis. Après les dirigeants des pays les plus puissants de la planète, les deux dirigeants des plus grosses entreprises mondiales ont été frappés. C’est maintenant clair : chaque mardi, l’homme le plus puissant du monde sera anéanti par cette foudre divine. Qui sera le prochain ?

On frappe à sa porte. JM sursaute et hurle qu’on le laisse tranquille.

PRESENTATEUR : La « main invisible » a quitté les marchés et elle s’est révélée être une grande faucheuse.

Séquence 18 – INTERIEUR JOUR – Bureau de JM

Mercredi 29 janvier 2020

JM est habillé de la même manière que la veille, débraillé. La télévision est allumée. Une bouteille de whisky et un cendrier avec trois mégots sont visibles sur son bureau. Le commentaire des analystes est de plus en plus angoissant.

COMMENTATEUR : Une épée de Damoclès implacable est suspendue au-dessus de la tête des puissants. Qui sera la prochaine victime ? Qui ?

JM change de chaîne. Un reportage sur lui.

REPORTAGE : Jean-Marie Martin est le directeur financier de la toute-puissante COGIP, la plus grande entreprise française et la deuxième au monde. D’un milieu modeste, après des études de commerce et un MBA, Jean-Marie Martin a pris les rênes de la finance du groupe. Il en est clairement l’homme fort, depuis le décès du PDG Delmar.

Il éteint la télévision et jette la télécommande. Son téléphone sonne. Il soulève le combiné seulement pour l’écraser sur son socle à plusieurs reprises. Il se prend la tête dans les mains.

Séquence 19 – INTERIEUR JOUR – Bureau de JM

Jeudi 30 janvier 2020

JM est complètement débraillé, mal rasé. Le niveau de la bouteille a baissé et celui du cendrier a augmenté. Il écrit sur une feuille une lettre de démission, puis la froisse et la déchire. Il la jette sur un tas d’autres papiers froissés. Il se lève et se regarde dans le miroir. Il se toise lui-même. Il s’adresse à son reflet.

JM : T’es le plus fort, hein ? C’est toi le plus puissant ! Hein c’est toi ! C’est toi le meilleur ! T’as tellement tout donné pour ça, putain ! Ouais c’est toi le meilleur !

En transe, entre rires et larmes, il regarde l’organigramme de l’entreprise où il est juste en dessous de Delmar, à côté de Philippe. Il consulte ses comptes bancaires sur son téléphone, s’exclamant sur le montant si élevé. Il crie, prend sa veste et part.

Séquence 20 – INTERIEUR NUIT – Dans la salle de séjour de l’appartement luxueux de JM

JM sort de la salle de bains, rasé, peigné. Il enfile un costume très élégant, noue sa cravate. Il branche une caméra et s’assoit dans un fauteuil après avoir ajusté les rideaux, le cadre sur le bureau, le porte-crayon, tous les détails de la mise en scène. Il appuie sur le retardateur de la caméra et se précipite vers le fauteuil en prenant la pose la plus digne possible.

JM : Je m’appelle Jean-Marie MARTIN. Ceci est mon testament. Je vous regarde en face, mais demain, je serai mort. Demain, la « main invisible » m’aura emporté. J’ai accepté la charge d’être l’homme le plus puissant de cette terre. En cette heure grave, j’embrasse mon destin. Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour la grandeur de mon groupe et par amour du travail bien fait. Si je dois être puni d’avoir été le meilleur, si le monde est fou et que les valeurs se sont inversées, eh bien qu’il en soit ainsi. Je ne peux pas renoncer à ce que je suis. J’accepte mon sort et je vous dis : Adieu.

Il éteint la caméra.

Séquence 21 – INTERIEUR JOUR – Dans la chambre à coucher de l’appartement de JM

JM, allongé sur son lit en costume, impeccable, les yeux fermés, comme pour une veillée funèbre. Le téléphone sonne et il se réveille en sursaut.

 JM : Allô ?

 ASSISTANTE DE JM : M… Monsieur Martin ?

JM : Quoi ?

ASSISTANTE DE JM : C’est le directeur commercial…

JM : Philippe ?

ASSISTANTE : Oui.

JM : Eh bien quoi ?

ASSISTANTE : Il… Il est mort, monsieur.

JM : Quoi ?! Lui ?! Le salopard !

JM raccroche, se lève et se précipite hors de la chambre.

Séquence 22 – INTERIEUR JOUR – Dans la salle de bains

JM se regarde dans le miroir et pousse un long soupir de soulagement.

 JM : Ce type, ce nul ! Plus important que moi ?! Mais elle déraille cette « main invisible » ! Mon JM, tu l’as échappé belle. Si c’est pas ton tour, tu seras le prochain. Tu vas te laisser faire sans réagir ? Ah ça, non, pas question !

Séquence 23 – INTERIEUR JOUR – Bureau de JM à la COGIP

Le bureau est lumineux, les stores ouverts ce qui contraste avec les jours précédents. JM met de l’ordre. Un cadre apeuré toque à sa porte ouverte.

CADRE : Monsieur le directeur…

JM : Quoi ?

CADRE : Eh… Eh bien, il n’y a personne pour remplacer le PDG, ni même le directeur commercial.

JM : Et qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ? Je suis pas le DRH !

CADRE : Eh bien, ça fait que c’est vous le patron. Vous êtes le maître absolu de la COGIP.

Le visage de JM se décompose.

JM : Foutez-moi le camp, espèce de… Convoquez immédiatement le comité d’entreprise !

Le cadre disparaît. JM se sert un verre de whisky qu’il boit d’une traite.

Séquence 24 – INTERIEUR JOUR – Salle de réunion du Comité d’entreprise

Une foule d’employés se presse dans la salle, tant assis que debout. JM calme le brouhaha d’un geste de la main.

JM : Mes amis ! Les inégalités n’ont que trop duré au sein de cette entreprise. Je propose de doubler tous les salaires. Et de diviser le mien par deux.

Stupeur et acclamations dans la salle.

DÉLÉGUÉ SYNDICAL : Ben… C’est gentil. On n’a jamais vu ça avec les collègues, mais je sais pas. C’est…

JM : C’est quoi ?

DÉLÉGUÉ SYNDICAL : C’est peut-être trop. On voudrait pas trop gagner.

JM : Allons ! Pendant trop d’années, je n’ai pas joué le jeu du dialogue et du partage. Je réalise aujourd’hui à quel point je me suis trompé. C’est pour cela que je pense que les remplaçants de nos deux dirigeants qui nous ont malheureusement quittés devraient être choisis parmi vous, les représentants syndicaux. Il faut du sang neuf.

Eclats de voix dans la salle.

DÉLÉGUÉ SYNDICAL : Ah non ! Ah ça non ! Ça, c’est hors de question ! On veut pas nous !

JM : Mais pourquoi ?

DS : Sans concertation, on peut pas…

JM : Mais là, on se concerte.

DS : C’est trop dangereux ! On refuse, monsieur le directeur…

 JM : Ne m’appelez plus directeur ! Il n’y a plus de direction ! C’est terminé ! Vous avez raison. A partir de demain, la COGIP sera une coopérative et tout le monde sera payé exactement pareil !

Hourras dans la salle.

Séquence 25 – EXTERIEUR JOUR – REPORTAGE TELEVISE

Un reportage d’actualités montre JM devant l’immeuble de la COGIP, arrachant sa cravate et saisissant les mains des membres du comité d’entreprise pour les lever au ciel en signe d’union.

VOIX OFF : Une nouvelle incroyable ! La Cogip, deuxième plus grande entreprise au monde vient de décider de se constituer en coopérative autogérée et d’abolir toute hiérarchie. Quelque chose d’inimaginable hier encore !

Séquence 26 – INTERIEUR JOUR – SUITE DU REPORTAGE TELEVISE

Images d’usines, liesse populaire.

VOIX OFF : Mais un exemple qui n’a pas tardé à faire des émules, partout dans le monde, les plus grands groupes se démantèlent spontanément.

Séquence 27 – INTERIEUR JOUR – REPORTAGE TELEVISE AUTRE CHAINE

Mars 2020

Scènes à travers le monde d’une avalanche de bonté. Foules qui s’embrassent, murs qu’on abat, armées détruisant leurs armes, dictateurs rendant le pouvoir.

VOIX OFF : Depuis quelques mois, une aube nouvelle s’est levée sur l’humanité. Les armées ont détruit tous leurs stocks d’armes. Sur ces images, le dictateur nord-coréen décide de se retirer du pouvoir. Personne n’ayant souhaité lui succéder, toutes les décisions seront prises par une assemblée démocratique dont chaque membre aura un temps de parole strictement équivalent. De plus en plus de pays adoptent ce système.

Séquence 28 – INTERIEUR JOUR – REPORTAGE TELEVISE TROISIEME CHAINE

Images d’un concert raté, spectateurs en colère. Le violoniste soliste est hué.

VOIX OFF : Retour sur le concert de Bogdan Radic, sacré quelques mois plus tôt plus grand violoniste du monde. Concert qui a été un fiasco complet. On a découvert qu’il avait fait exprès de remplir ses interprétations de fausses notes, de crainte d’être victime de ce qu’on appelle désormais la « main invisible ».

Séquence 29 – EXTERIEUR JOUR – Un quartier de belles maisonsbordées de palmiers

Mardi 4 janvier 2040

Un homme sort d’une belle maison et en ferme la porte. Il vérifie minutieusement qu’une enveloppe est bien glissée dans la poche de sa chemise. C’est une très vieille enveloppe usée. On reconnaît JM avec 20 ans de plus. Il a de longs cheveux blancs, il porte des vêtements amples en lin.

Séquence 30 – EXTERIEUR JOUR – Rue

JM sort de sa propriété et marche dans la rue. Il croise ses voisins, tous d’une politesse extrême. Il vérifie à nouveau que l’enveloppe est bien à sa place. A un embouteillage, les conducteurs stoppés patientent avec le sourire. L’embouteillage est causé par une voiture et un piéton qui refusent chacun de passer le premier à un passage clouté. JM sourit à cette vue.

Séquence 31 – EXTERIEUR JOUR – Plage

JM arrive sur la plage où l’attend un petit groupe de personnes en tenue sobre et pratique. Il range avec un soin maniaque son enveloppe. Il donne un cours de yoga. Pendant les mouvements, il ne peut s’empêcher de jeter de temps en temps un coup d’œil en direction de l’enveloppe.

Séquence 32 – EXTERIEUR JOUR – Plage

Le cours est terminé. JM remet soigneusement l’enveloppe dans sa poche. La proximité physique avec celle-ci semble lui faire du bien. Une jeune femme l’embrasse. C’est sa fille, Alice. Ils marchent le long de la mer. Sans s’en rendre compte, JM a sorti l’enveloppe et la tient dans sa main. Ils finissent par s’arrêter devant un décor idyllique, face à la mer.

ALICE : Papa… Comment c’était… Avant la « main invisible » ?

JM : Le monde était beaucoup plus divisé. Depuis, aucun tyran n’opprime plus son peuple ni aucun conflit majeur n’est apparu. Toute la terre est gérée dans le consensus.

ALICE : Combien de gens sont morts exactement ?

JM : Pas plus d’une trentaine car en six mois, l’humanité avait compris quel chemin emprunter. C’est ce qu’il a fallu pour qu’elle apprenne à maîtriser ses pulsions.

ALICE : Ils étaient vraiment tous si puissants ?

JM : Eh bien, la plupart, oui. Mais il y en a un, cela m’a vraiment étonné. Le Docteur Blanchard. C’était un grand psychanalyste, il avait parmi ses patients tous les chefs d’entreprise, journalistes et célébrités de l’époque. Il avait l’air tout à fait inoffensif, mais il faut croire que les secrets qu’il détenait sur ses patients en ont fait, au moins pour un moment, l’homme le plus puissant sur cette terre. Depuis, on doit se passer de psychanalyse.

JM regarde l’horizon, l’air perdu.

ALICE : (inquiète) Papa ! Paps ! Qu’est-ce qu’il y a ? Tu te sens mal ?

JM ne réagit pas, comme prostré. Sa main tremble sur l’enveloppe. Sa fille la lui prend des mains. Elle l’ouvre et découvre une vieille couverture de magazine pliée en quatre, toute écornée. Dessus, JM jeune pose fièrement. Le gros titre indique : « Jean-Marie Martin, l’homme le plus puissant du monde ! »

Les participants de 2018-19

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